INFOLETTRE DÉCEMBRE 2024
L’amanite tue-mouches et les traditions de Noël - Par Guylaine Duval
L’Amanita muscaria, ou amanite tue-mouches, est sans doute le champignon le plus emblématique de notre imaginaire collectif. Son chapeau rouge parsemé de points blancs est omniprésent dans les contes de fées, les jeux vidéo comme Mario Bros, ou encore diverses décorations. Mais derrière cette apparence féerique se cache une histoire fascinante qui pourrait avoir inspiré certains aspects des traditions de Noël, notamment l’apparence du Père Noël, les rennes volants et même la coutume des bas suspendus près de la cheminée.
Une histoire enracinée dans les rituels chamaniques
Dans les régions sibériennes et arctiques, les chamanes des peuples autochtones utilisaient l’amanite tue-mouches pour ses propriétés psychoactives lors des rituels de solstice d’hiver. Ces cérémonies, centrées sur le passage entre le monde des esprits et le monde terrestre, étaient souvent marquées par des costumes rouges et blancs rappelant l’apparence du champignon. Pour distribuer ces "cadeaux" rituels, les chamanes entraient parfois dans les yourtes par le trou de fumée, une pratique que l’ethnobotaniste Jonathan Ott relie à l’image du Père Noël descendant par la cheminée.
Les effets du champignon, causés principalement par le muscimol et l’acide iboténique, induisaient des visions, des distorsions sensorielles et un sentiment de "voler". Les rennes, sacrés pour ces cultures nordiques, consommaient volontiers les amanites sans souffrir de leurs effets toxiques. Leur comportement exubérant observé après l’ingestion du champignon aurait alimenté l’idée de rennes magiques capables de voler, un élément central de la légende du Père Noël.
Un champignon aux multiples usages
Contrairement aux idées reçues, l’amanite tue-mouches n’est pas mortelle, bien qu’elle soit toxique. Ici au Québec, cette espèce se décline dans des teintes de jaune à orange plutôt que rouge. Apparemment, les effets de nos espèces nord-américaine seraient moins puissants et intenses que les espèces sibériennes.
Au début, on croyait que les effets psychotropes étaient dû à la muscarine. En fait, le champignon en contient très peu. Se sont plutôt l’acide iboténique et le muscimol qui sont responsable des effets psychotropes.
Les effets du champignon induisaient des visions, des distorsions sensorielles et un sentiment de "voler". Les rennes, sacrés pour ces cultures nordiques, consommaient volontiers les amanites sans souffrir de leurs effets toxiques. Leur comportement exubérant observé après l’ingestion du champignon aurait alimenté l’idée de rennes magiques capables de voler, un élément central de la légende du Père Noël.
Les symptômes de l’ébriété sont caractérisés par des contractions musculaires, des étourdissements, des distorsions visuelles (macroscopie et microscopie) et une altération de la perception auditive. Cette ivresse est souvent accompagnée de nausées et de vomissements, qui pour les chamanes était un signe de purification du corps avant d’accéder à la possession par les êtres spirituels.
Fait intéressant, le muscimol, principal composé psychoactif, n’est pas détruit par le métabolisme, ce qui a conduit à une pratique unique : boire l’urine d’une personne ou d’un renne ayant consommé le champignon pour en prolonger les effets. Ce phénomène est unique à l’amanite tue-mouches, puisque en général, toute substance qui passe dans le corps en produisant un effet, en ressort altérée.
En médecine traditionnelle, l’amanite tue-mouches était utilisée pour traiter des affections telles que la fatigue, les morsures de serpent et les troubles articulaires. En homéopathie occidentale, elle est parfois employée contre la dépression, l’épilepsie ou la maladie de Parkinson.
Les parallèles avec Noël
L’image moderne de Noël est profondément liée à l’iconographie de l’amanite tue-mouches, que ce soit par ses couleurs rouge et blanc, son association avec les arbres, ou ses liens avec le solstice d’hiver. Les cadeaux rouges et blancs placés sous le sapin rappellent le champignon poussant à la base des conifères (sapins – épinettes), que les cultures nordiques considéraient comme des "arbres de vie".
Les rennes, animaux sacrés pour ces cultures nordiques, consommaient des amanites tue-mouches. Selon certaines histoires, ces rennes semblaient « danser » ou « bondir » sous l’effet du champignon, alimentant l’image de créatures magiques capables de s’envoler. Ce lien entre l’amanite, les rennes et le voyage vers des mondes fantastiques pourrait expliquer certaines caractéristiques du Père Noël : son costume rouge et blanc rappelant les couleurs du champignon, son traîneau tiré par des rennes volants, et son association avec la magie de l’hiver.
Pour les rennes, ces champignons sont un régal, ils en ressentent et en recherchent l’effet enivrant.
Lorsque les rennes s’intoxiquent à Amanite tue-mouches, ils se comportent de manière étrange, sautant, caracolant – et en particulier pour quelqu’un qui avait lui-même pris des champignons – pouvait donner l’impression de voler. Les chamanes auraient même bu l’urine des rennes qui avaient mangé l’amanite tue-mouches, et vice versa, les rennes friands du champignon se ruaient sur les hommes qui urinaient suite à sa consommation.
Les noms des rennes du Père Noël semblent évoquer les effets psychotropes de l’amanite tue-mouches : Dasher (Tornade), Dancer (Danseur) et Prancer (Fringant) renvoient à des comportements physiques souvent associés au champignon. Les peuples du Nord utilisaient l’amanite tue-mouches pour activer une énergie corporelle intense, leur permettant de parcourir de longues distances sans se fatiguer. Les Vikings auraient également consommé ce champignon avant les batailles pour accroître leur force et leur endurance. Par ailleurs, les danses de transe, fréquentes parmi les chamanes, trouvent un écho fascinant dans le comportement des rennes, qui, après avoir consommé l’amanite tue-mouches, pouvaient être observés dansant, bondissant ou sautillant
Le nom Comet (Comète) évoque un héritage cosmique. Une comète, étoile filante voyageant dans l’espace, symbolise la transmission de vie, à l’image des spores qui portent le germe de l’existence sur Terre. Ce nom fait écho à la vitalité, au concept « de lumière spirituelle », un symbole puissant de transformation, d’éveil de la conscience et de voyage entre les mondes. Les champignons sacrés, quant à eux, ont souvent été utilisés dans les temps anciens comme outils rituels d’initiation, permettant de reconnecter les individus à leur énergie corporelle et à une conscience universelle élargie.
Cupid (Cupidon) est le messager d’éros, le dieu de l’amour. Le champignon, telle la flèche de cupidon, peut éveiller Éros et nous connecter avec les couches profondes de notre sexualité.
Donner et Blitzen traduit de l’allemand, signifient Tonnerre et Éclair. La pluie nécessaire à la fructification du champignon souvent accompagné de tonnerre et d’éclair. De plus, dans les temps anciens, les spores et le mycélium souterrain caché du champignon laissaient croire que les champignons apparaissaient où les éclairs avaient frappé la terre. Donc tonnerre et éclair annonçaient directement le cycle de vie et le folklore de l’amanite tue-mouches.
Vixen (Renarde). Ce nom porte plusieurs connotations, souvent mal comprises ou sources de confusion. Cependant, en explorant plus profondément le mythe du Père Noël, on découvre un indice qui mène à une signification spirituelle et symbolique. Vixen incarne la déesse elle-même, la version féminine du chaman. Plus précisément, le chaman, ou she-man, peut être perçu comme une contrepartie masculine de la déesse ou de la sorcière (witch) dans la tradition wiccane. En réalité, "Vixen" et "witch" partagent des racines communes.
Vixen, la renarde, symbole de ruse et de mystère, complète la figure du « goat-man », ou Pan, le dieu des bois et de la nature sauvage. Dans les pratiques chamaniques, la métamorphose en animal, qu’il s’agisse d’une renarde ou d’une autre créature, est un rituel courant. Ces transformations permettent aux chamans de se connecter aux forces de la nature, d’explorer d’autres plans spirituels, ou d’accéder à des états de conscience modifiés. Ainsi, Vixen représente un lien profond avec les traditions anciennes et la connexion entre l’humain et l’animal dans les pratiques spirituelles ancestrales.
Les écrits de chercheurs comme Robert Gordon Wasson, Carl Ruck et John Rush renforcent les connexions selon quoi, le Père Noël est un personnage dérivé des chamanes sibériens, qui récoltaient et distribuaient l’amanite tue-mouches à l’occasion du solstice. Même les rituels modernes, comme laisser du lait et des biscuits pour le Père Noël, évoquent les offrandes faites aux chamanes en échange de leurs services rituels.
À première vue, il semble ridicule de penser que des rennes peuvent voler. Mais Carl Ruck suggère que les rennes qui volent sont une symbolique d’une conscience altérée par l’amanite tue-Mouches.
Les communautés ancestrales de l’Arctique, le solstice d’hiver célébré le 21 décembre, était une date de cérémonie très importante.
L’amanite tue-mouches est frappante avec son chapeau rouge à points blancs. Cette partie que l’on voit est le fruit d’un organisme plus grand appelé mycélium. C’est un vaste réseau de filaments qui poussent cachés dans la terre et qui s’associe aux arbres dans une relation symbiotique et dans le cas de l’amanite tue-mouches, associé aux conifères*, dont le sapin. Quand le mycélium est prêt, il produit son champignon, qui se retrouve sous et autour des sapins. Le champignon rouge et blanc tout couvert de terre, apparait souvent du jour au lendemain, de là la tradition du père noël qui laisse des paquets emballés de rouge et de blanc sous le sapin. L’amanite tue-mouches est le cadeau sous le sapin.
Le voyage psychotrope du chamane serait relié à l’idée que le père noël voyage dans le ciel avec son traîneau et ses rennes pour livrer des cadeaux. Le cadeau donné par le chaman était les connaissances que le champignon leur apportait en plus d’en partager des portions aux personnes présentes.
Une autre analogie liée à notre imaginaire de noël : comme souvent l’entrée de la yourte était couverte de neige, le champignon était livré par le chaman par la cheminé qui était le plus haut point de la maison. Puis, une fois que le chaman a fait la livraison de l’Amanita tue-mouches, les villageois enfilaient les champignons ou les mettaient dans des sacs suspendus devant le feu pour les faire sécher.
De plus, lorsque les cueilleurs de champignons cueillaient les champignons, ils les plaçaient souvent dans les arbres de la forêt pour les faire sécher au soleil, une pratique aussi utilisé par les écureuils.
Ainsi nous pouvons facilement établir des comparaisons avec notre tradition moderne de décorer l’arbre de Noël avec des ornements rouges et blancs, avec des bas suspendus remplis de cadeaux devant le feu et l’imagerie du Père Noël avec son sac descendant dans la cheminée.
Une légende qui traverse les âges
Bien que le lien direct entre l’amanite tue-mouches et Noël reste théorique, il est fascinant de constater comment ce champignon, qu’il s’agisse des rennes volants, des cadeaux sous le sapin ou du costume du Père Noël, a influencé et continu d’influencer notre imaginaire collectif.
Cette année, en décorant votre sapin, en revêtant l’habit rouge et blanc du père Noël pour émerveiller vos enfants, ou en suspendant vos bas de Noël à la cheminée, sachez que vous perpétuez une tradition ancestrale où l’amanite tue-mouches joue un rôle surprenant dans l’histoire de nos festivités hivernales!
NOTE : (L’amanite tue-mouches pousse en association mycorhizienne avec les sapins, les épinettes, les pins et les bouleaux.)
MISE EN GARDE : L’amanite tue-mouches est un champignon puissant aux effets imprévisibles. L’intoxication peut être extrêmement désagréable et potentiellement dangereuse si le champignon est mal préparé. L’auto-expérimentation est fortement déconseillée. Les informations présentées dans cet article sont fournies à titre éducatif uniquement. L’auteur décline toute responsabilité pour tout incident ou conséquence résultant d’une utilisation personnelle ou expérimentale.
SOURCES : The Influence of Hallucinogenic Mushrooms on Christmas. “What does Amanita muscaria have to do with Christmas?”. Posted by Will Broussard. 23, Dec . In The Black Trumpet Blog
Salon.com “The strange, psychedelic history of Christmas”. How do reindeer fly Santa's sleigh around the world?” If you guessed hallucinogenic mushrooms, you might be right. By TROY FARAH. Science & Health Editor.
https://synergeticpress.com/blog/consciousness-and-psychedelics/christmas-and-fly-agaric-mushrooms/ “Unveiling the Enigmatic Link Between Christas and Mushrooms”.
Santa Claus and the Amanita Muscaria by Jimmy Bursenos.
http://exploredeeply.com/live-your-purpose/ Santa Claus, The Magic Mushroom, & the Shamanic Origins of Christmas.
“Fly Agaric” a compendium of history, pharmacology, mythology and exploration. Edited by Kevin Feeney. Fly Agaric Press. 2020.
Jonathan Ott: Né en 1949 à Hartford, dans le Connecticut, il est ethnobotaniste, écrivain, traducteur, éditeur, chimiste des produits naturels et chercheur en botanique dans le domaine des enthéogènes et de leurs utilisations culturelles et historiques, et a contribué à inventer le terme « enthéogène ». (Wikipédia)
Robert Gordon Wasson: (22 septembre, 1898 – 23 décembre, 1986) auteur américain, ethnomycologiste. Les études d’ethnomycologie de Wasson ont commencé lors de son voyage de noces dans les montagnes Catskill en 1927 lorsque sa femme, Valentina Pavlovna Guercken, pédiatre, est tombée par hasard sur des champignons sauvages comestibles. Fasciné par la différence marquée entre les attitudes culturelles à l’égard des champignons en Russie et aux États-Unis, le couple a entamé des recherches sur le terrain qui ont conduit à la publication de Mushrooms, Russia and History en 1957 et plusieurs autres livres. (Wikipédia)
Carl Ruck: (né le 8 décembre 1935 à Bridgeport, Connecticut) est un professeur au département d’études classiques de l’Université de Boston. Il est surtout connu pour son travail avec d’autres spécialistes de la mythologie et de la religion sur le rôle sacré des enthéogènes, ou plantes psychoactives qui induisent un état de conscience modifié, tel qu’il est utilisé dans les rituels religieux ou chamaniques. (Wikipédia)
John Rush: Anthropologue et auteur américain connu pour ses travaux sur la spiritualité, les états de conscience modifiés et l'utilisation des plantes et champignons psychoactifs dans les rituels et les cultures anciennes. Il explore les traditions chamaniques, les mythologies et les pratiques symboliques, en mettant souvent en lumière le rôle des substances naturelles dans les expériences religieuses et mystiques. (né en 1943, décédé en 2024). Source : https://www.simonandschuster.com/authors/John-A-Rush/206600289